Jehanne de Rohan avait épousé en l'an de grâce 1236 Matthieu (appelé Mahé par les bardes), Seigneur de Beauveau. Leur bonheur durait depuis trois ans quand Pierre Mauclerc, duc de Bretagne, prit la croix pour aller combattre les Sarrasins. Mahé fut un des premiers à se ranger sous la bannière de son seigneur.
Avant de partir, il dit à un de ses cousins, clerc au château: " Beau cousin, je te confie mon épouse, Jehanne la douce, et mon fils Jean. Prends bien soin d'eux tandis qu'au loin je me battrai!"
A ce moment Jehanne descend les marches du grand perron, son enfant dans les bras. Son visage est inondé de larmes, et elle supplie son mari de ne pas partir. Mais lui promet: "Je reviendrai dans un an!"
Et après envoir embrassé son enfant, il s'en va guerroyer...
Au bout d'un an, le clerc vient trouver Jehanne, en prière dans son oratoire.
"Voici l'année passée- lui dit-il, et notre baron n'est pas encore revenu. Soyez certaine, chère cousine, que les Sarrazines ont captivé son coeur, et qu'il vous a oubliée. Eh bien, oubliez-le aussi. Pourquoi resteriez-vous veuve alors que votre mari est vivant!"
Mais Jehanne a compris l'allusion, et repousse le clerc.
Le clerc descendit au chenil, tua le plus beau lévrier, et avec son sang écrivit au baron: "Un malheur est arrivé. Alors que votre épouse chassait la biche, votre beau lévrier s'est tué."
Le baron répondit: " Que Jehanne ne se désole pas, j'achèterai un autre lévrier, mais dites-lui de ne pas aller trop souvent chasser la biche."
De nouveau le clerc vient trouver Jehanne. Elle prie et pleure, demandant au ciel de lui conserver son époux.
- Vous pleurez, lui dit-il, et votre visage s'est fané. Les femmes là-bas ont des yeux pleins de maléfices... et bien des gens succombent à la guerre."
De nouveau, elle chasse le clerc outrecuidant.
Il descend à l'écurie, prend le beau cheval blanc du baron, et le tue, puis avec son sang écrivit cette missive: "Un autre malheur est arrivé. En revenant d'une fête de nuit, le cheval de la baronne s'est brisé les deux jambes."
Et le baron répondit: "Surveillez bien Jehanne, beau cousin, et dites-lui de ne plus aller aux fêtes de nuit, car ce sont aussi les unions qu'on y brise."
Le méchant clerc revient à la charge, et cette fois, menace Jehanne et la somme d'être à lui. Elle refuse, alors il lui lance son poignard, mais le bon ange de la baronne détourne l'arme, qui tombe au sol! Pendant qu'il le ramasse, Jehanne se sauve.
Alors le clerc plein de rage vient à la chambre où l'enfant est endormi, et sans pitié il lui ouvre la poitrine et en retire le coeur, qu'il va jeter dans l'auge des pourceaux.
Puis avec le sang de l'enfant, il écrit: "Revenez vite, cher seigneur. Pendant que votre femme était au bal, la grande truie a dévoré votre enfant..."
Quand le baron reçut cette lettre, il était sur la route du retour. Plein de colère, il prit le galop et fut bientôt au château. Et quant il eut le clerc devant lui, il lui cria: "Je t'avais confié ma femme et mon enfant, qu'en as-tu fait?" et sans lui laisser le temps de répondre, il lui enfonça sa lance à travers le corps.
Puis il courut à la chambre de Jehanne, et sans un mot, la perça de son épée et la poussa par la fenêtre!
Horrible vision! Le corps de la baronne vint s'écraser dans la cour du château...
Et depuis, disent les gens du pays, dans le cimetière des Rohan, on peut voir chaque nuit, une dame vêtue de blanc, assise au bord d'une tombe. Sur ses genoux, un bel enfant, le coeur percé. A sa droite, un lévrier fauve, à sa gauche un coursier blanc... le premier a la gorge coupée, le second le poitrail entrouvert... Ce sont les victimes du méchant clerc de Rohan.
J'ai trouvé cette tragique histoire dans "Légendes traditionnelles de Bretagne".